Par un arrêt du 10 juin 2021, le Conseil d’État a considéré illégale la technique de l’encerclement en manifestation[1].  Cette décision résulte d’un recours pour excès de pouvoir contre le schéma national du maintien de l’ordre adopté le 16 septembre 2020 (le « SNMO »).

Jusque à présent, la technique de l’encerclement, plus communément appelée la « nasse », n’était encadrée par aucun texte et il était donc très difficile d’en vérifier la légalité. C’est désormais chose faite ! Grâce à son inscription dans le SNMO, des associations, syndicats et organisations de défense des libertés ont permis au juge administratif de se prononcer sur l’usage de cette technique de maintien de l’ordre.

Illégale, oui ! Mais pour combien de temps ? Si le Conseil d’État a retoqué le texte du gouvernement en l’état, il reconnaît cependant que cet usage pourrait être légal en respectant certaines conditions.

Le Conseil d’État rappelle qu’il « appartient aux autorités investies du pouvoir de police administrative, afin de prévenir les troubles à l’ordre public, de prendre les mesures adaptées, nécessaires et proportionnées que peut appeler, le cas échéant, la mise en œuvre de la liberté de manifestation. En sa qualité de chef de service, le ministre de l’intérieur a compétence pour prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement des administrations placées sous son autorité et, à ce titre, pour définir les techniques de maintien de l’ordre que les forces de l’ordre peuvent mettre en œuvre pour maintenir l’ordre public, en veillant à ce que leur usage soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances. »

Selon un raisonnement classique tiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, le Conseil d’État vérifie que la mesure attentatoire aux libertés fondamentale soumise à son examen soit adaptée, nécessaire et proportionnée à l’objectif qu’elle poursuit.

En l’espèce le Conseil d’État reconnaît que « si la mise en œuvre de la technique de l’encerclement […] peut s’avérer nécessaire dans certaines circonstances pour répondre à des troubles caractérisés à l’ordre public, elle est susceptible d’affecter significativement la liberté de manifester, d’en dissuader l’exercice et de porter atteinte à la liberté d’aller et venir»

Cependant, le Conseil d’État observe que la façon dont la technique de l’encerclement est présentée dans le SNMO ne permet pas d’offrir suffisamment de garanties quant à un usage adapté, nécessaire et proportionné. En effet le juge administratif relève que les termes du SNMO « se bornent à prévoir que « il peut être utile » d’y avoir recours, sans encadrer précisément les cas dans lesquels elle peut être mise en œuvre. »

Dès lors, faute d’apporter de telles précisions, de nature à garantir que l’usage de cette technique de maintien de l’ordre soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances, le Conseil d’État considère que les dispositions du SNMO sur l’encerclement sont illégales.

Quelles conclusions tirer de cette décision ? Deux, principalement :

  • D’une part, la plus haute juridiction administration reconnaît que la technique de la nasse employée par les forces de l’ordre est illégale dès lors qu’elle n’est pas suffisamment encadrée pour s’assurer qu’elle ne soit pas utilisée de façon inadaptée, non-nécessaire et disproportionnée.
  • D’autre part, le juge administratif ne ferme pas la porte à l’utilisation de cette technique. Le gouvernement pourra donc légaliser cette pratique en édictant un nouveau texte qui prendra en compte les exigences précitées.

A partir de ce second point, nous pouvons imaginer les pistes pour un futur texte qui rendrait la technique admissible aux yeux du juge administratif.

Cette décision s’inscrit parfaitement dans la jurisprudence d’autres juridictions suprêmes telles que la Cour européenne des droits de l’Homme qui a reconnu dans un arrêt Austin c. Royaume-Uni[2] que la technique de l’encerclement pouvait être utilisée lorsqu’il existe « un risque réel de dommages corporels et matériels graves » et que la police n’a pas d’autre choix que d’imposer un cordon intégral pour prévenir le risque.

La technique de l’encerclement est admise lorsqu’elle induit simplement une restriction de liberté sans se muer en privation de liberté. Pour ce faire, le juge examine le « genre » et les « modalités d’exécution » de la mesure en question tout en l’intégrant dans un contexte. Une mesure d’encerclement qui n’empêche pas les manifestants de s’exprimer à l’intérieur du cordon et qui offre une voie de sortie à ceux qui le souhaitent, peut être admise, même si elle est restrictive de liberté, dès lors qu’elle n’est pas constitutive d’une privation de liberté.

La Cour européenne des droits de l’Homme tient toutefois à préciser que même s’il n’y a pas de privation de liberté, « compte tenu de l’importance fondamentale de la liberté d’expression et de la liberté de réunion dans toute société démocratique, les autorités nationales doivent se garder d’avoir recours à des mesures de contrôle des foules afin, directement ou indirectement, d’étouffer ou de décourager de protestation ».

Autrement dit, si la mesure d’encerclement n’est pas utilisée dans le seul but de prévenir les atteintes graves aux personnes ou aux biens, elle peut être considérée comme une mesure privative de liberté, notamment s’il s’agit effectivement d’empêcher des personnes de manifester et d’user de leur liberté d’expression.

Compte tenu de ces éléments, la technique de la nasse pourrait être admise par le juge administratif si :

  • son usage est strictement limité à la prévention d’un risque réel de dommages corporels et matériels graves
  • sa mise en œuvre constitue le seul moyen de prévenir le risque, la police n’ayant pas d’autre choix moins intrusif
  • son mode d’exécution n’empêche pas les manifestants de s’exprimer et permet d’en sortir

Même s’il y a de quoi dénoncer l’usage de la nasse comme attentatoire aux libertés, l’absence de cadre rend celles et ceux qui la subissent plutôt démunis comme en témoigne les nombreux abus relevés par l’Observatoire parisien des libertés publiques au cours des manifestations de ces dernières années[3].

A titre d’exemple, lors d’un rassemblement d’Extinction Rebellion le 12 octobre 2019 près de l’Assemblée nationale, les militants ont été contraints de rester durant près de six heures au sein du dispositif d’encerclement sans pouvoir véritablement exercer leur liberté d’expression. En l’espèce, la mesure avait visiblement pour objectif de « punir » de manifester et dissuader de participer à nouveau à une manifestation, ce qui relève à l’évidence des pratiques proscrites par la Cour européenne des droits de l’Homme.

[1]                Conseil d’État, 10 juin 2021, n°444849

[2]                CEDH, 15 mars 2012, Austin et autres c. Royaume-Uni, 39692/09, 40713/09 et 41008/09

[3]                Observatoire parisien des libertés publiques, Contrôler, réprimer, intimider. Nasses et autres dispositifs d’encerclement policier lors des manifestations parisiennes, Printemps 2019 – Automne 2020