Le 17 décembre 2020, le tribunal correctionnel de Perpignan[1] a relaxé un prévenu qui était poursuivi pour dégradation du bien d’autrui commise en réunion[2] sur le fondement de l’état de nécessité.
Le collectif des faucheurs volontaires d’OGM 66, dont fait partie le prévenu, avait fauché dans la nuit du 2 août 2016 un champ de tournesols de 3 hectares à Elne dans les Pyrénées Orientales.
Le champ appartenait à l’entreprise SAS NIDERA Semences France, laquelle a reconnu au cours de l’audience que le champ faisait partie d’un programme de 18 hectares implantés dans la zone concernant une variété de tournesol destinée à la production d’un hybride conventionnel qu’elle estimait toutefois ne pas être un OGM.
Le prévenu qui avait reconnu avoir participé au fait de fauchage de ce champ a demandé à être renvoyé des fins de la poursuite au motif qu’il a détruit un bien illégal, ce qui ne saurait constituer une infraction, et que, en tout état de cause, il a agi en état de nécessité.
A titre préliminaire, la question était de savoir si les plants de tournesols en cause pouvaient être qualifiés d’organismes génétiquement modifiés. Le tribunal s’est fondé sur la directive 2001/18/CE[3] dont l’interprétation avait été précisée par la Cour de justice de l’Union européenne le 25 juillet 2018[4] pour reconnaître la qualité d’OGM à des organismes obtenus au moyen de techniques ou méthodes de mutagénèse au même titre que ceux obtenus par transgénèse.
Dès lors, en application du principe de précaution, le professionnel qui procède à la dissémination de ce type de plants est tenu par une obligation de transparence et de loyauté et ne peut semer ou planter en pleine nature sans qu’il soit démontré que les précautions sont prises pour empêcher tout impact négatif sur l’environnement et la santé. Or, en l’espèce, la société NIDERA avait dissimulé le caractère d’OGM de ses plants et n’avait effectué aucune démarche pour prévenir les risques sur l’environnement ou la santé, se plaçant ainsi dans l’illégalité au regard du code rural.
À la question de savoir si compte tenu de l’illégalité de la plantation, une personne pouvait légitimement commettre un délit pour y mettre fin, le juge répond par la négative : « Il demeure que la loi n’efface pas un délit au seul motif que ce délit venait répondre à une autre infraction. Pour que tel soit le cas, la loi exigence des conditions qui, concrètement, tiennent à la légitime défense ». Or, en l’espèce, les conditions de la légitime défense n’étaient pas réunies.
En revanche, le juge a accueilli favorablement l’argument de la défense fondé sur l’état de nécessité.
Il rappelle à ce titre que « l’état de nécessité, très voisin de la légitime défense, ne peut être invoqué qu’en présence d’un danger réel ou effectif, pour soi-même ou pour autrui, actuel ou imminent et nécessairement momentané, « injuste », qui a entraîné une réponse nécessaire et mesurée ».
Sur le caractère injuste du danger, le juge indique que la plantation de tournesols OGM a été disséminée sans être déclarée et sans précaution particulière pourtant obligation légale. La situation rencontrée par le prévenu était donc « injuste » au sens de l’état de nécessité.
Le juge a par ailleurs estimé qu’il existait un péril imminent justifiant l’action de « fauchage ». En effet, les cultures OGM permettent, et même imposent pour éradiquer les repousses et la réapparition de la plante originelle dans les bourgeons secondaires, un usage clairement intensif des pesticides et des herbicides. C’est selon le juge l’association inévitable des plants OGM à ces produits qui crée « un danger réel dont la réalité est avérée par de nombreuses études scientifiques ». Et d’ajouter : « il est une évidence que la consommation de produits chimiques n’est pas saine pour l’homme ou l’animal et que son utilisation a des conséquences sur l’évolution des végétaux et il est démontré que des organismes vivants qui font ensuite partie de l’alimentation humaine les concentrent et contaminent donc l’humain, et ce alors même que certains de ces consommateurs pensaient avoir pris des précautions pour s’assurer une alimentation pauvre, voire exempte, en de tels produits ».
Le danger était par ailleurs effectif et actuel en ce qu’il trouvait sa source dans le champ lui-même et allait être aggravé par la récolte qui devait intervenir trois semaines plus tard. Portant essentiellement atteinte à la sécurité de l’environnement et la sécurité sanitaire, ce danger existait non seulement pour le prévenu mais également pour l’ensemble de la population.
Le « fauchage » était donc nécessaire pour « mettre un terme à un danger général, insidieux, aux effets irréversibles sur l’environnement et la santé et qui porte atteinte à toute une collectivité ».
Le « fauchage » était enfin proportionné en ce qu’il ne détruisait que « quelques 3 ha, portant certes une atteinte financière à un agriculteur, dans le cadre d’une action qui n’était pas dirigée à raison de l’identité de cette personne, et à un professionnel qui invoque un préjudice dont il ne communique d’ailleurs pas les éléments qui permettent de le chiffrer ».
Les décisions de relaxe venant justifier une infraction sur le fondement de l’état de nécessité sont rares, notamment lorsqu’elles concernent des actions de militants politiques. Ce jugement n’est toutefois pas isolé et il est admis que soit porté atteinte à des biens et ipso facto à la propriété d’autrui par une dégradation ou une destruction lorsque cela est justifié par un intérieur supérieur tel que la protection de l’environnement et de la santé humaine.
On pourra ainsi citer d’autres exemples de jurisprudence tels que la relaxe prévenus poursuivis pour avoir dégradé des bidons de désherbants contenant du glyphosate dans plusieurs magasins[5] ou encore la relaxe de « décrocheurs de portraits présidentiels » du chef de vol en réunion[6].
[1] Tribunal correctionnel de Perpignan, 17 décembre 2020, 2730/2020
[2] Cette infraction a été requalifiée par le juge de « destruction de parcelle de culture d’organismes génétiquement modifiés autorisée aux fins de mise sur le marché », infraction créée spécifiquement par les pouvoirs publics pour prévenir les actions des faucheurs volontaires.
[3] Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement
[4] Cour de justice, 25 juillet 2018, Confédération paysanne e.a, C-528-/16
[5] Tribunal judiciaire de Foix, 1er juin 2021, n° 372/2021
[6] Tribunal de grande instance de Lyon, 16 février 2019, n° 19168000015 (décision infirmée en appel)